Le blog de Polyphonies, école à distance d’écriture musicale et de composition.

Grégoire MARECHAL : un dilettante exigeant.

dans Focus

Guitariste et banjoïste, compositeur et enseignant, acteur et informaticien, Grégoire Maréchal a participé activement à la vie des Ateliers de Création Musicale. Membre du bureau et enseignant, on lui doit les "Travaux d’ateliers" et l’enregistrement annuel des CD-audio pendant plusieurs années (ceci étant éminemment méritant d’ailleurs pour le dévouement bénévole requis !). Le Mensuel se réjouit d’ouvrir aujourd’hui ses colonnes à cet homme-orchestre qui a fait route avec nous pendant un bon moment ! Lire l’article

Grégoire Maréchal, un dilettante exigeant.

- Parle-nous de tes débuts... J’ai commencé le piano à 6 ans, ni par goût ni par vocation, mais parce ça faisait “ partie des choses qu’un enfant doit apprendre ”. J’ai donc fait 7 ans de conservatoire à reculons, dont j’ai gardé une dent contre les professeurs de piano... et les parents obtus ! Après toutes ces années et dure négociation j’ai réussi à changer d’instrument, et je suis devenu guitariste, puis banjoïste.

Vers l’âge de 20 ans j’ai envisagé de devenir professionnel, et j’ai beaucoup travaillé l’instrument. A ce moment-là je me suis aperçu que j’avais davantage envie de jouer “ mes ” morceaux que ceux des autres.

Je me suis donc lancé dans la composition en autodidacte, en ayant potassé des traités d’harmonie (classique et jazz) tous plus incompréhensibles les uns que les autres. C’est alors que j’ai découvert les Ateliers de Création Musicale, où enseignaient Jean Robert et Jean-Luc Kuczynski. Ca a été LA révélation : enfin je comprenais la musique !

Je me suis alors investi à fond dans les cours de composition, et j’ai étudié 5 ans avec Jean Robert, le temps d’aller dans tous les recoins du programme, depuis l’intégralité des exercices de contrepoint à 4 voix - plus de 1000 ! - jusqu’à l’orchestration en passant par le chant grégorien !

- Comment s’est passé ta première expérience en composition ? Fort de toute cette connaissance technique je me suis retrouvé seul devant une page blanche, et cela a été un choc, parce que je me suis aperçu alors que je n’avais travaillé que l’aspect technique. Seul devant une foule de questions. Et oui, on se croit savant, mais on ne sait plus du tout ce que l’on veut faire au moment d’écrire quelque chose ! La recherche de mon propre style était embryonnaire, tandis que je possédais beaucoup d’informations et de connaissances sous d’autres aspects. C’était disproportionné. Alors je suis allé chercher dans différents styles : de toutes ces techniques qu’est-ce que je peux faire ? Cette attitude m’a aidé à avancer.

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Sardines
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Apparition 1

Une autre chose encore plus importante y a contribué : donner des cours de composition à mon tour. Comme Jean-Luc, j’ai aussi travaillé auprès de Jean Robert, d’abord comme assistant sur les cours de 1e et 2e année, puis sur l’ensemble du cursus. J’ai vu que tout le monde était confronté à la même difficulté, et j’ai pu prendre du recul. Je me suis libéré de ce questionnement infructueux, et je n’ai plus hésité à expérimenter dans toutes les directions.

- Si tu avais un conseil à donner aux étudiants en composition, que leur dirais-tu ? Justement, ne pas attendre la fin des études pour commencer à écrire ses œuvres personnelles. J’ai commis l’erreur d’attendre la fin des cours pour commencer “ mes ” compositions, alors qu’il aurait fallu à mon avis, en parallèle des cours, essayer de composer de façon plus individuelle, sans modèle ni guide. C’est d’ailleurs ce que nous avons ensuite encouragé à faire dans les “ Travaux d’Ateliers ” des ACM pour les élèves, Ainsi, ils gagnent en autonomie, progressivement.

Commencer à écrire décomplexe ; on arrive à quelque chose avec les moyens du bord, perfectibles évidemment ! Les premières compositions réalisées avec des acquis élémentaires sont peut-être naïves, malhabiles, “ innocentes ” : mais elles sont parfois justement très réussies pour ces mêmes raisons. Et les élèves s’étonnent très souvent du résultat : “ j’arrive à faire quelque chose ! ”. Ce n’est plus un exercice, mais une œuvre, “ work in progress ” evidemment.

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La troupe dans "Le Roi se meurt" ( E.Ionesco)

- Parle-nous de ton expérience de compositeur ; as-tu un souvenir marquant ? Depuis quelques années j’ai étudié le théâtre, j’ai joué dans des pièces et des courts-métrages, dont les metteurs en scène et réalisateurs m’ont demandé des compositions. Ceci m’a ouvert des perspectives nouvelles, car je me suis trouvé en face d’un demandeur qui le plus souvent ne connaissait rien à la technique musicale : ceci permet de voir la composition non plus sous son aspect technique, mais de chercher ce qu’elle exprime.

Je me souviens que pour la musique de “ Le Roi se meurt ”, il fallait une courte séquence de « boîte-à-musique », au moment des 12 coups de midi. L’idée m’est venue d’utiliser le schème de Big-Ben. Le résultat a été apprécié par toute la troupe : il correspondait à ce que je cherchais, et ça passait ! J’en étais touché, et c’était vraiment gratifiant : arriver enfin au résultat attendu ! Ca donne confiance en soi !

- A voir ton site* tu es quelqu’un de particulièrement éclectique, et tes activités artistiques sont nombreuses : la littérature, la musique bien sûr mais aussi le théâtre, le cinéma, et l’informatique que tu enseignes d’ailleurs... Oui c’est vrai, mes activités se rapportent à différents moyens d’expression ; mais elles s’additionnent plutôt. Eclectique moi ? Je me définis plutôt comme un dilettante qui est assez exigeant en fait.

J’ai trouvé dans le cinéma la convergence de tout ce que j’aime faire ; écrire (je m’essaye aux scénarios), jouer bien sûr, et composer évidemment, puisqu’on m’a demandé la musique du film “ Le Dîner ”, court-métrage de Jean-Marc Sainclair, de « Kite », de Kathrin Frey.

Mais tout ça me demande beaucoup de temps : c’est la raison pour laquelle j’ai choisi d’enseigner l’informatique. Je suis devenu prof pour avoir un emploi du temps décalé ! Je pense persévérer dans la musique de film, car la liberté de style est très grande.

J’invite les étudiants de Polyphonies à écouter - et critiquer - certains de mes morceaux sur cette page : “ Compositions musicales

- Tu es guitariste depuis presque trente ans, maintenant. As-tu écrit pour ton instrument ? Paradoxalement je n’écris pas spécifiquement pour la guitare. Je pense que pour cet instrument le doigté entre énormément en ligne de compte (Berlioz disait “ seul un guitariste peut écrire correctement pour la guitare ” - il était lui-même guitariste). Surtout écrire pour guitare seule est difficile (pour 2 c’est mieux !). Il faut pratiquement avoir l’instrument sur soi pour écrire. Par contre, je commence souvent mes musiques de film pour la guitare, et je passe ensuite au synthé. Je trouve que c’est très difficile de sortir des sentiers battus en guitare. J’ai étudié le classique, le folk, la bossa-nova, la polka paraguayenne ( !), country, blues... Difficile de faire quelque chose d’original ! Alors j’ai écrit plutôt pour piano, ou pour de petits ensembles. Chaque instrument a certes ses spécificités, mais je pense que dans une première approche, il faut surtout “ bien ” écrire, et à ce moment-là ça passera sur tous les instruments. Bien écrire, c’est composer une bonne structure. Il faut évidemment une idée mélodique, mais surtout un bon développement. Il en va de même qu’en peinture : composer, c’est mettre des formes et des couleurs les unes en relations aux autres. En composition musicale, c’est la même chose : Il faut enchaîner des schèmes les uns aux autres, et voir la partition comme un tableau, mais qui cette fois ce déroule dans le temps.

- As-tu une méthode préparatoire habituelle, l’analyse par exemple ? Préparatoire m’évoque ceci : Quand j’étais au cours préparatoire, ma mère m’a acheté un ciré jaune pour me protéger de la pluie. Lorsque je suis arrivé à l’école vêtu de mon nouveau ciré, toute la classe en rang par deux, la maîtresse a dit : “ Oh qu’il est mignon, on dirait un petit poussin ! ” et tous les copains ont rigolé. Je n’ai jamais plus porté de jaune de ma vie. Mais je ne suis pas sûr d’avoir répondu à la question ;-).

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Dans "La Racine carrée de 122", film de Ranveer Gunessee

- En tant que musicien interprète, qu’attends-tu d’une interprétation ? Je fais un parallèle avec le théâtre : entre le texte d’une pièce de théâtre et l’interprétation des acteurs, il me semble qu’on ne se demande jamais quel est le degré de liberté (du moment qu’on respecte le texte - je suis absolument contre les coupures ou ajouts). Si l’acteur ou l’actrice ne faisait que dire le texte, on s’ennuierait. Et il me paraît évident que chaque acteur/actrice va s’exprimer à travers le texte, en fonction de ce qu’il/elle est, de sa vie, de sa compréhension du texte, bonne ou mauvaise... Ce qui fait qu’il n’y aura pas deux interprétations identiques. Vive la diversité !

Pour la musique, c’est pareil. La partition est ni plus ni moins qu’un texte musical.Enfin ceci n’est que mon humble avis, et je crois qu’il faut se garder de trop analyser les choses. Je suis résolument du côté de ceux qui font de la musique, pas du côté de ceux qui en parlent.

- En conclusion, ta check-list du compositeur ?

- Lire en écoutant,

- analyser, étudier les grands maîtres, les chansons populaires, le rock, la techno... Dès qu’une chose (musicale) nous plaît ou nous intrigue, l’étudier pour voir comment c’est fait, et ensuite... faire autre chose !

- Pratiquer l’écriture en couches, comme pour peindre un mur : on prépare d’abord la surface avec de l’enduit (peu importe sa couleur puisque que ce n’est pas ce qu’on verra à la fin). Mettre la première couche, le brouillon. Pleine de défauts, c’est pas grave, car ce n’est pas ce qu’on verra à la fin.

- Puis reprendre son travail, et écrire une 2e couche. (Attention : la 2e couche recouvre intégralement la première, il ne faut donc pas modifier la 1e version, il faut la réécrire complètement, quitte à recopier les mêmes notes si on persiste à croire qu’elle doivent absolument demeurer à cet endroit là...).

Bref : Travailler en recommençant intégralement. Ceci a l’avantage de libérer l’imagination, car on sait que ce qu’on écrit en “ premier jet ” ne se verra pas dans la version finale. Comme disait Ernest Hemingway : “ Tout premier jet est systématiquement de la m... ” J’ai toujours trouvé très rassurant de se dire qu’on n’est pas tout seul !

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La troupe de "Elle est là" , pièce de Nathalie Sarraute

    Joëlle KUCZYNSKI
    Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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